« Cette bonne nouvelle ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt, car on est encore loin du compte… »
La traditionnelle étude annuelle sur les Dépenses de Santé, menée par la DREES, est récemment parue et a livré ses données pour l’année 2019. Avec un chiffre clé : une baisse du RAC en 2019 qui est passé sous la barre des 7%. Nous avons demandé à Yves Trupin, associé, de commenter pour nous ce chiffre …
Actense. Que pensez-vous de cette baisse régulière du RAC depuis quasiment 10 ans ?
Yves Trupin. La presse (y compris des organes peu connaisseurs du sujet) s’en est largement fait l’écho en soulignant la « baisse du reste à charge des ménages ». Pour sourire un peu, j’ai envie de dire que cette baisse reste, somme toute modeste puisque nous sommes passés d’un reste à charge s’élevant à 7,0 % des dépenses en 2018, à 6,9 % en 2019, pas de quoi en faire un énorme cocorico… (dont la DREES n’est pas responsable).
Pour être un peu plus sérieux, on notera néanmoins (grâce à l’existence sur le long terme de l’étude déjà citée, qu’il faut saluer au passage) que le reste à charge des ménages est passé de 9,0 % des dépenses en 2010 à 6,9 % en 2019.
Actense. Mais ce reste à charge (RAC), mesuré en termes « globaux » ne cache-t-il pas des disparités fortes entre les populations ?
Yves Trupin. La DREES signale avec objectivité ce qui a principalement permis la baisse du reste à charge, à savoir la proportion de plus en plus importante d’assurés en affection de longue durée (ALD), dispositif, comme chacun sait, qui permet à un assuré de voir une grande partie de ses dépenses (en particulier celles liées à son affection principale) prises en charge « à 100 % » et être exonéré du ticket modérateur.
Or, le RAC, comme l’indique la DREES est en fait très variable d’un poste de dépense à l’autre allant de 2% pour les dépenses à l’hôpital jusqu’à 22,6% pour les dépenses d’optique.
Actense. Le RAC est aussi une notion que vous utilisez pour évaluer la qualité d’un régime de complémentaire santé. Est-ce vraiment comparable ?
Yves Trupin. Dans le cas des complémentaires santé en entreprise, cette notion de reste à charge est suivie depuis une bonne dizaine d’années par la plupart des intervenants (souscripteurs avec l’aide de leurs conseils et assureurs). J’aimerais apporter un éclairage important sur ces notions de reste à charge suivies au niveau des « complémentaires ». En effet, nous constatons fréquemment des RAC supérieurs à ce fameux taux de 6,9 % désormais devenu la référence nationale. En se basant sur cet unique indicateur, nombre de nos clients peuvent s’interroger sur la pertinence de leur régime, voire se demander comment leur RAC peut être supérieur au RAC national alors que la couverture complémentaire est obligatoire pour leurs salariés.
Actense. Comment expliquez-vous cela ?
Yves Trupin. La première raison est liée la proportion d’assurés en ALD (cf. supra) qui est beaucoup plus faible chez les salariés d’entreprises et leurs bénéficiaires (conjoints, enfants) qu’au sein de la population des retraités.
La seconde tient au fait qu’une très grande proportion des dépenses à l’hôpital échappe au flux d’information dont disposent les complémentaires. Une hospitalisation s’accompagne en effet elle-même très fréquemment d’une « prise en charge » à 100 % (sans pour autant que l’assuré soit en ALD) et l’hôpital se voit directement régler la dépense par le régime de base, sans que la « mutuelle » intervienne (et donc sans qu’elle dispose du flux d’information et puisse l’intégrer à son analyse).
On pourrait presque dire que les analyses de RAC menées par les complémentaires sont « hors dépenses à l’hôpital ».
Attention donc à la comparaison entre eux, de chiffres qui ne recouvrent pas les mêmes réalités.
La DREES prend la précaution de préciser que son étude « ne tient pas compte des cotisations aux régimes de base et complémentaires ». Sage précaution car il n’est pas évident, si ce paramètre était pris en compte, que la conclusion fût un « gain financier » pour l’assuré.
Par ailleurs, et à l’évidence, le RAC varie fortement en fonction de l’exposition de l’assuré, ou de la population que l’on considère, à des postes de dépenses avec un fort RAC (la population « jeune » est ainsi moins exposée à des dépenses à l’hôpital que la population « âgée », et inversement sur d’autres postes).
Actense. Cette baisse du RAC a-t-elle un coût pour les assurés et les entreprises ?
Yves Trupin. Le RAC est passé, en presque 10 ans, de 240 €/an à 213 €/an. 27 € gagnés en 10 ans. Les mauvaises langues pourront trouver cela modeste. Pour ma part, j’ai plutôt envie de corriger ce chiffre, résultat d’une présentation « simpliste ». En effet, la « dépense de santé » par assuré a augmenté de 15 % environ sur la même période et il faut donc « corriger » les chiffres au regard de cette dérive. L’effort devient alors plus significatif puisque l’on peut estimer avoir « gagné », au final, 63 € de RAC entre 2010 et 2019.
Mais « l’amélioration » apparente ainsi mise en lumière a aussi eu une contrepartie liée à la hausse des cotisations et contributions payées par les assurés (et leurs employeurs) pour la financer.
Pour que l’assuré bénéfice concrètement de cette baisse du RAC, il faut qu’elle lui ait coûté moins.
Ces financements relèvent de deux sources principales : celles destinées au budget de l’assurance maladie obligatoire (AMO) et celle que l’on traduira par « la cotisation de ma mutuelle ».
Compte tenu du système de financement en place qui fait appel à une « tuyauterie » des plus complexes, j’avoue ma difficulté à poser un regard objectif (et surtout chiffré) sur l’évolution en matière de « pression sociale » (et fiscale ?) sur les ménages pour financer l’AMO. Peut-être le prochain rapport annuel de la DREES intégrera-t-il cette dimension, ce qui serait un louable effort.
Concernant le prix payé pour disposer d’une couverture complémentaire, nous avons fort heureusement des données plus facilement exploitables. Ainsi, au regard du « chiffre d’affaires » de l’assurance santé complémentaire (qui sert d’assiette à différentes taxes et peut-être même à de nouvelles très prochainement…), on peut estimer aux alentours de 50 € / mois (600 € / an) le prix payé aujourd’hui par l’assuré en moyenne en France. Chacun se souviendra que les hausses tarifaires annuelles se sont établies, sur la période des 10 dernières années, à environ 3 à 4 % l’an, ce qui représente, toujours sur la même durée, une hausse de plus de 150 €.
A rapporter à notre baisse du RAC de 63 €, il semble que l’on soit loin du compte.